Trouver sa voix

C’est la rentrée depuis quelques jours, et pour nous, ça signifie la fin du chamboulement estival ! On a enfin un toit bien à nous, avec le chat qui va avec, et on se prend à jouer aux trois petits cochons depuis lundi ! Halte là, esprits mal placés, je vous arrête tout de suite, si je fais référence au conte, c’est parce que notre maison, elle est en bois, que croyiez-vous donc ? Bref, une maisonnette en bois dans les bois, ça ne peut qu’être propice à l’écriture, et comme je suis toujours en retard sur le http://zodiac-challenge.forumactif.com/, je vous propose ma dernière lubie écrituresque sur l’un des thèmes imposés du mois de juin : je me souviens / la voix/ la lumière bleue / une rencontre inattendue. J’aurais pu très bien raconter une histoire très simple et très courte. Je me souviens, c’était il y 5 ans, ou peut-être plus, de cette rencontre inattendue, je me souvien surtout de sa voix, puis de ses yeux, si clairs dans la lumière bleue. Mais il faut croire que je n’aime pas la simplicité. N’hésitez pas à me dire quelle histoire vous préférez, sauf si c’est la première 🙂 ! Belle journée à vous, Sabrina.

Depuis tout petit, il n’avait jamais trouvé sa voix. Des bêlements barbares du début, aux barbarismes du prépubère en passant par les borborygmes d’un bambin timide, il en avait connu des trémolos sans qu’il puisse jamais se gargariser d’un seul son de son gosier.

C’était absurde, lui disait-on, quand il osait, à demi-voix, confier son manque de confiance quant à sa voix.

C’est saisissant, répondait-on alors, quand ces mêmes confessés, entendaient pour la première fois les couinements qui transperçaient le canal de transport de ses pensées.

C’est insupportable, s’agitaient les plus malpolis d’entre eux, qui couvraient en un geste preste leurs oreilles agressées.

C’est l’histoire de ma vie, déclamait-il, achevant les auditeurs d’une deuxième salve de crissements affreux à vous dégommer même un sourd de la feuille.

C’était pas faute pourtant d’avoir essayé de remédier à ce dévoiement de cordes vocales, qui s’étaient complètement entortillé les pinceaux, à vouloir faire dans l’originalité, y’avait plus vraiment de tonalité.

A l’enfance, on lui avait bassiné EX-PI-RA-TION, PHO-NA-TION, AR-TI-CU-LA-TION ! Il avait tellement accumulé de rendez-vous chez l’ORL, qu’il aurait pu bénéficier d’une carte de fidélité et d’un siège particulier. Il connaissait toutes les secrétaires, qui lui offraient en cachette des sucettes, pour qu’il les engloutisse au plus vite. Il les trouvait fort aimables, elles voulaient juste qu’il se taise. Ces mesdames avaient un faible pour Patrick Bruel et il ne fallait point les en détourner. D’ailleurs, grâce à ces expéditions à répétition, il en connaissait toutes les chansons, surtout “Casser la voix”, cela va de soi.

A l’adolescence, on lui avait assuré ACTIION REACTIIION, sa prof de français adorait autant les Choristes que les vers de Verlaine, sans ordre de préférence. Elle avait cru en ses capacités pour les lui tirer de son nez, malheureusement, la poésie ne l’avait pas sauvé, il continuait à canarder, même les poèmes saturniens. S’il connaissait tout de Verlaine à l’endroit, comme à l’envers, elle n’en eut jamais la preuve ni le réconfort. Et lui n’osa plus jamais réciter de rimes embrassées, et encore moins faire figurer cette prouesse sur son CV.

A l’âge adulte, seule sa mère avait encore de l’espoir, et lui concoctait des potions magiques sorties d’un vieux grimoire. Ca ! Il en bouffait du thym, du miel, du romarin, de la patte de grenouille, mais tous ses efforts restaient bredouilles, le pauvre gamin devenu grand, continuait à croasser comme un corbeau, un de ceux que l’on rêverait d’empailler.

Alors il errait dans sa vie, comme un épouvantail dans un jardin, sauf que lui, c’est fort dommage, n’était pas si effroyable, on pouvait même lui trouver du charme, il avait de doux yeux, de ceux qui disent ce que le corps tait. Mais dès lors qu’il se mettait à parler, les réactions ne se faisaient attendre, les minettes s’enfuyaient sans demander leurs restes et les plus âgées aussitôt se sentaient plus lestes. Il aurait préféré naître muet, on aurait pu au moins lui exprimer de la pitié. Alors qu’il songeait à s’initier au langage des signes, il tomba nez à nez avec une jeune femme, charmante au demeurant, qui lui fit du rentre-dedans, littéralement. Entendez par là, qu’elle lui avait foncé dessus. Comme il n’était pas encore muet, il se mit à s’égosiller et à déverser sa bile, devenant presque volubile.

— Ca par exemple ! Votre voix !

— Oui, je sais, ça fait des années que je me la coltine ! Elle est ni grave, ni aiguë, mais elle monte dans les graves autant que dans les aigus, elle écorche les tympans de tous ceux qui l’entendent et…

— Non, mais c’est extraordinaire ! C’est exactement ça que je recherche depuis des mois ! Cette singularité, cet affreux son, ce grinçant débit… Me dites pas que vous travaillez, avec une voix pareille !

— A vrai dire, je suis au chô…

— Vous ne l’êtes plus, à partir de maintenant, il va falloir entretenir votre voix de coquelet ou de… coquecigrue, je vous embauche sur le champ !

Elle prit son téléphone et hurla dans le combiné « Tu ne devineras jamais ! J’ai trouvé notre Groggy pour notre dessin animé ! »

Ainsi donc, il avait trouvé sa voie avec un e : il serait le nouveau Groggy du futur film d’animation. Pour la première fois de sa vie, il en perdit sa voix, avec un x, celle contre laquelle il luttait, depuis toutes ces années.

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11 réflexions sur “Trouver sa voix

  1. Coucou Sabrina !

    Je trouve que la chronologie que tu as employée pour exposer le parcours de cet homme à la voix mi-aiguë et mi-grave, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte est tout simplement bien trouvé ! Parcourant son chemin en ne sachant pas où cela le conduirait, touché par des réflexions acerbes des uns, ou du mutisme des autres, condamné il se referme sur lui-même, jusqu’au jour où sa différence le rendra unique. Tu nous attaches aisément à ce personnage. Ton style est toujours aussi fluide, prenant, voir addictif !
    Je te remercie pour ce délicieux moment de lecture.

    Très bon week-end et à bientôt,

    Rodolphe

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Rodolphe ! Pour ta lecture et ton élogieux commentaire ! Cela me fait extrêmement plaisir, et je suis ravie de pouvoir te suivre à travers tes nouvelles, j’espère que la formation te plaît toujours autant, ne lâche rien :)! Belle journée à toi, Sabrina.

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    1. Oh Nadine, merci beaucoup pour ce joli commentaire qui illumine ma journée pluvieuse ! Surtout qu’à mon grand déshonneur, ces derniers textes sont un peu moins travaillés… Et comme j’écris au fil de la plume, je ne sais jamais trop ce que ça va donner ! Par contre, je relis jusq’à l’écoeurement :)! Belle journée à toi, Sabrina.

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