C’est peut-être du vent

Bonjour à tous, le Zodiac est de retour à nouveau, avec un texte que je propose aujourd’hui à vos yeux experts. Pour tous ceux qui vivent dans un grotte, ou du moins, qui ne parcourent jamais ces lignes, l’explication du Zodiaque, c’est là : Zodiac Challenge et si vous voulez un exemple de ce que ça peut donner c’est ici : L’année prochaine Filou. Les thèmes du mois de mai étaient : le vent, le miroir, derrière la porte, le retour. Encore une fois, le titre est d’une grande aide pour déterminer le mot que j’ai choisi d’utiliser ! Bon, peut-être ai-je un peu triché ce mois-ci, et je m’excuse d’avance pour la digression et le jeu de mots qui va suivre, mais vous m’en direz des… nouvelles ! Belle journée à vous, Sabrina.

Fukuoka. Ils sont assis en face l’un de l’autre, enveloppés par les vapeurs des Tonkotsu ramen qui émanent du restaurant où ils se sont donné rendez-vous. 

On est fin septembre. Il vient d’obtenir son master d’ingénierie urbaine et environnementale à l’université de Kyushu. Cinq années plutôt compliquées, à travailler d’arrache-pied pour réussir à décrocher ce sésame. Il peut être fier de lui, et il a envie que Daisuke, ce père qui le regarde d’une mine sévère, le soit aussi. Ils se dévisagent tous les deux, ne sachant trop quoi se dire. D’une signe de tête, Haru fait s’approcher la serveuse. Il veut boire un saké. Il en prend deux. Daisuke semble approuver, et se lance enfin. 

— Eh bien, mon fils, je suis extrêmement fier de toi ! Tu as travaillé dur pour obtenir ce diplôme et ta mère serait honorée de savoir que tu es devenu un beau garçon diplômé ! Ah ça, un master, c’est pas donné à tout le monde !

Les sakés arrivent à ce moment-là. Ils les engloutissent avec une avidité non feinte. 

— A ta santé, fils, tu le mérites. 

— Merci, père. 

Daisuke, échauffé par l’alcool de riz, le regarde maintenant avec une bienveillance toute nouvelle. Haru fixe ses pieds, gêné. Les mots lui manquent. Il aurait tant de choses à lui dire. Mais il est des questions qui ne se résolvent pas autour d’un saké. Toutes ces nuits, il s’est imaginé ce qu’il lui dirait. Tout s’est envolé maintenant. Son père, de nature autoritaire, mène la barque, il prend les commandes, s’exclamant à la serveuse que c’est la fête, qu’on ne devient pas tous les jours un grand garçon. 

— Que vas-tu faire, maintenant ?

— J’ai plusieurs propositions pour travailler dans des ONG. 

— A l’étranger ? 

— Non, ici, à Tokyo, Osaka et même… Fukushima. J’ai de bonnes références grâce à mes stages. 

Une ombre passe sur le visage du père. 

— Fukushima, oui… Enfin, regardez-moi celui-là ! Il a des offres à travers le pays ! C’est magnifique ! Alors, tu vas pouvoir te trouver une jolie compagne et te marier, comme ton vieux père !

— J’en suis pas encore là. Ca arrivera, si ça doit arriver. 

— Allons, on ne peut être complètement heureux si on reste seuls, tu sais bien !

— C’est ce que maman disait toujours. 

— Oui, évidemment. 

— Tu sais que j’aurais voulu que vous soyez là. J’aurais voulu que tu me soutiennes en fait. 

— Je sais fiston. Après la mort de ta mère, c’était compliqué. Je pouvais pas. J’ai pas pu rester à Fukushima. Je le regrette, et le regretterai sans doute jusqu’à mon dernier souffle. 

— Je t’en ai tellement voulu. 

Les larmes lui picotent les yeux. 

— Haru, pas un jour ne s’est passé sans que je pense à toi. Je savais qu’on prendrait soin de toi et qu’ici, à Fukuoka, ta tante pourrait t’offrir le meilleur ! Regarde, tu es masterisé maintenant ! Et puis, un arbre n’est jamais totalement séparé de ses fruits quand ils tombent à terre. C’était pour ton bien, parce que ton pauvre père, parce que… enfin… je t’aime mon fils. 

C’est peut-être du vent, mais ces mots l’ébranlent, ce sont eux qu’il est venu chercher. Il regarde cet homme dont l’assurance tremble, ratatiné à présent sur son siège. Haru se lève et le prend dans ses bras. C’est déjà l’heure de se quitter, il le sait. Il se tourne une dernière fois vers ce père et lui glisse une enveloppe entre les doigts. 

Daisuke reprend la route, le coeur lourd, l’esprit embrumé. Ca avait été plus rude qu’il ne l’avait imaginé. Déjà, son téléphone clignote sous les notifications. Il ouvre l’enveloppe et y voit des billets, la somme convenue, et un simple petit mot “merci”. Il a un pincement au coeur. Mais il doit déjà repartir. Pour une autre mission. Certaines sont plus faciles que d’autres. Cette fois-ci, il prendra le rôle d’un oncle, du nom de “Makoto”, ce qui signifie sincérité en japonais. Il en aurait presque souri. Il commence à lire les infos sur son nouveau personnage pour l’entrevue dans un bar du quartier branché de Daimyo. Il jette un dernier coup d’oeil à la silhouette solitaire qui s’enfonce dans la frénétique Fukuoka, et soupire cette ville insensible aux chagrins des siens.

Il ne voit déjà plus Haru.

Cette nouvelle a été remaniée et éditée dans mon recueil BREAKING NEWS. Pour la redécouvrir sur papier, il n’y a plus qu’à commander !

Et si vous avez aimé, n’hésitez pas à le dire (ça fait toujours plaisir), et à me suivre, toujours par là !

6 réflexions sur “C’est peut-être du vent

  1. c’est triste, mais cela existe réellement au Japon où des acteurs jouent le rôle de père, d’oncle, de mari, d’amant, bref de n’importe quoi. Certains enfants croient que leur père travaille loin et ne peut rentrer qu’une fois par semaine, alors qu’il s’agit en fait d’un acteur! Drôle de société….

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  2. On en apprend tous les jours! J’ai eu un doute à la fin de ton texte, n’étant pas sûre d’avoir bien compris et pourtant c’est bien vrai. Ca mérite un petite explication en introduction ou à la fin, non?

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Eve de ton passage et de ta remarque, en effet, vu que cette histoire m’a été inspirée d’un article de journal parlant de ces sociétés d’acteurs pour jouer des rôles de proches au Japon, je pourrais peut-être le préciser à la fin et renvoyer à l’article pour les intéressés. Excellente idée, belle journée à toi, Sabrina.

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