La vieille aux mouettes

Bonjour à tous ! Après moult péripéties, jai enfin réussi à retranscrire sur smartphone une nouvelle écrite au bord de Péniche, au Portugal ! Comme j’ai bien bataillé avec la dictée vocale, la correction derrière des hypothèses de googueul et la mise en page ultra limitée sur l’appli WP, je vous laisse lire mon texte fortement inspiré par notre environnement du moment, sans m’épancher davantage. Belle lecture à vous 😉 et à bientôt pour d’autres publications plus policées !

Dans la Rua da Figueira, les maisons baignées de lumière somnolent. Les passants passent furtivement pour trouver une ruelle plus animée, offrant des cafés à l’ombre desquels ils peuvent filer quelques heures de la journée. Joao, lui, fait des cercles avec son pied. C’est l’été depuis 5 jours. Ses parents travaillent, alors il joue dehors. Ne t’éloigne pas trop, tu restes dans cette rue, c’est bien compris ? Alors, il fait des ronds avec son pied dans la Rua da Figueira. Il sait que la voisine, une vieille à la peau burinée et aux cheveux hirsutes l’observe derrière ses rideaux à fleurs. Prends garde si tu t’échappes semblent vouloir dire ses yeux qu’il imagine à travers les broderies. Elle ne sort quasiment jamais de sa maison aux volets bleus. À part pour balayer son entrée et chasser les mouettes qui viennent becqueter sous son porche. Quand elle sort et qu’elle se met à gueuler dans sa robe bleue comme ses volets, elle fait rire les habitants du quartier, surtout Saudade, la tonnelière du coin de la rue qui semble passer le restant de ses journées, le reste de sa vie en somme, juchée sur une chaise, sous un gros parasol Coca-Cola, donc elle n’a jamais bu une goutte. Le secret de la longévité, aime-t-elle colporter à qui la frôle d’un peu trop près. À Joao, la vieille sorcière lui fiche plutôt la frousse quand elle se met à lancer des caralho à la tête des mouettes. Alors, il n’a jamais dépassé la rua da Figueira. Même si c’est l’été.

Joao regarde sa montre, un joli cadran orné d’un ballon de foot comme trotteuse. Il aime beaucoup sa montre, surtout quand elle indique midi. Le ballon s’aligne avec celui au centre de sa montre. Il est presque 15h et Joao s’inquiète. Il devrait être là normalement. Oui, depuis 3 jours déjà, Joao s’est fait un nouveau compagnon : Sardinha, un chat noir et blanc qui raffole des restes de sardines de la Cozhina Lucia, un restaurant sans prétention qui grille poulet comme poisson. Joao sent son cœur se serrer un peu. Et s’il ne venait pas ? Et s’il avait décidé de tester une autre table, une autre adresse ? Joao se met à chantonner un peu, pas trop fort pour ne pas réveiller la sorcière de la maison voisine mais assez tout de même parce que c’est l’été, et qu’il s’ennuie un peu.

D’une démarche lente, indolente, le goinfre à fourrure, peut-être mélomane, apparaît enfin.

« Mon Sardinha ! Tu es là mon chaton ! » Le chaton, qui n’en est plus tellement un, ayant décimé dans le quartier quelques années d’arêtes de poisson, se frotte à ses jambes, ronronnant sous les caresses de Joao. Soudain, le chat se lève et se dirige prestement vers la maison… aux volets bleus.

– Non, Sardinha, surtout pas là !

Joao n’a pas envie que le chat subisse le même traitement que les mouettes et cette crainte lui donne une force nouvelle, celle de le rattraper et le capturer avant que…

– Que fais-tu là, morveux ! tonne une voix derrière son dos. 

– Je… Sardinha, bredouille Joao qui tremble de tous ses membres et retient avec plus de force le chat dans ses bras, un chat toujours calme et ronronnant, pourtant aux portes de l’enfer. 

– Qu’est-ce que tu dis ? gronde la vieille aux allures de sorcière, le visage aussi plissé qu’une feuille de brouillon froissé. 

– Suis-moi, ordonne-t-elle alors devant son silence. 

Joao ne parvient pas à répondre, pétrifié, comme si elle lui avait jeté un mauvais sort.

Voilà qu’il allait entrer chez la sorcière aux yeux qui traversent les murs parce qu’il n’avait pas écouté sa mère. Et voilà que Sardinha allait terminer en pâtée pour chat et qu’il allait plus pouvoir manger de sardines et que la Cozinha Lucia allait crouler sous les carcasses de poisson et que l’été était fini avant d’avoir commencé et qu’il avait encore envie de jouer à faire des ronds de pieds sur le sol.

Le chat dans les bras, Joao pénètre dans la pièce, prêt à fermer les yeux devant les squelettes, les cadavres de mouettes qu’il ne manquerait pas de trouver à la suite de la vieille dame. Le salon, un espace sombre et contiguë possède un mobilier sommaire, une table et deux gros fauteuils recouverts de napperons jadis blancs, maintenant beiges. Des portraits en noir et blanc, encadrés par des ornements dorés tirant sur le rouille, habillent des murs où la lumière entre peu. La vieille femme lui désigne un fauteuil du menton et Joao, persuadé qu’il vaut mieux coopérer, s’exécute, tout en gardant un œil sur la porte d’entrée, et son chat dans les bras. 

– Tu peux le lâcher, grommelle-t-elle enfin en montrant Sardinha.

Joao libère le chat avec regret et scrute la porte. 9, 10 mètres pas plus. Il lui suffirait de courir. Mais il faudrait que Sardinha le suive. Il ne le voit plus. Voilà que le piège se referme. Et si elle possédait une cave ? Une cave où elle entasserait sous une pile de napperons les os des animaux, ces animaux qu’elle déteste et qu’elle n’hésite pas à appeler Caralho. Et si Sardinha…

– Alors comme ça tu l’appelles Sardinha ? l’apostrophe-t-elle, d’un ton bourru. 

– Il aime beaucoup… les sardines, souffle Joao, s’inquiétant de ne pas voir le chat revenir entre ses jambes.

Un son caverneux sort de la bouche de la vieille femme dont les lèvres s’entrouvent. Un rire ! Un rire glaçant auquel Joao a peur de participer. Il lui manque deux dents, celles du haut, dont Joao ne parvient à détacher le regard.

– C’est mes dents que tu fixes ? demande-t-elle, le sourire soudain disparu, les yeux rapetissant, mettant Joao de plus en plus mal à l’aise.

S’il vous plaît, Seigneur, je vous promets que je viendrai plus souvent à la messe, si vous me sauvez des griffes de cette sorcière, je ferai ma prière tous les soirs, je…

– Miguel aussi, ça l’impressionnait, il les appelait les dents sans chance.

Qui était Miguel  ? Était-ce son mari ? Où était-il maintenant ? S’était-elle débarrassée de lui aussi, un jour qu’il s’était trop moqué de son sourire aux dents manquantes ? Et depuis, elle exposait des portraits de ses victimes pour rappeler à tous ceux qui oseraient que sous les napperons, elle faisait une toute autre collection.

– C’est le grand fou qui me sert de mari, lance la vieille dame, comme pour répondre aux interrogations muettes de Joao, qui cherche toujours un moyen de déguerpir, de ce guet-apens où les maris moqueurs finissent entassés au milieu des mouettes.

– C’est une longue histoire, soupire la sorcière, dont les rides semblent un peu plus se creuser. 

Joao n’en doute pas mais il ne veut pas savoir, il veut juste rentrer chez lui récupérer Sardinha et aller à l’église tous les jours s’il le faut. Il ne veut pas connaître la même destinée qu’une mouette… 

– Il s’est envolé un jour, comme ces maudites mouettes ! ricane aigrement la vieille femme.

Joao se fige. Pourquoi parle-t-elle de mouettes ? Aurait-elle lu dans ses pensées ? Sait-elle ce qu’il pense maintenant ? Savoure-t-elle d’avance la peur qui saisit le petit garçon, à nouveau incapable de quitter le fauteuil où il a eu le malheur de se poser ? C’est fini, il ne verra plus jamais Sardinha, et ses parents seront tristes, ils ne sauront jamais que leur fils chéri n’est pas loin, enseveli sous des ossements et des napperons à 10 mètres de chez eux, au sous-sol de la petite maison aux volets bleus. Paniqué, il n’entend pas d’abord les paroles de la vieille dame, qui se met à débiter d’un ton empreint d’amertume.

– Il était pêcheur mon Miguel, et on peut dire qu’il était doué. Jusqu’au jour où il n’a plus rien pris à ses filets. Plusieurs sorties d’affilée. Il a rien dit au début. Il achetait du poisson à la poissonnerie d’à côté et il a fait semblant comme ça pendant une semaine. C’est la voisine qu’a moufté. Elle m’a confié ça un jour de marché, elle faisait celle qu’ose pas, mais au fond, elle jubilait. Un pêcheur qui ne sait plus pêcher ! Moi, j’avais bien remarqué que son poisson, il était pas pareil. J’ai rien dit, parce que mon Miguel, il était plein de fierté. Mais un jour ce benêt, il a pas pu nier, il avait laissé le ticket dans le sac ! Il est parti dans une rage folle. Il m’a dit que c’était à cause des mouettes ! Des mouettes ! Elles lui piquaient tout le poisson ! Dès que sa barque filait, elles le suivaient à la trace. Tout ce qu’il attrapait, elles lui fauchaient ! Tous les soirs, il me parlait de ces saletés de mouette qui lui volaient la vedette ! Puis un mardi, il est parti en chantant. C’était bizarre pour moi, je l’avais jamais entendu chanter, même à la messe, il faisait semblant. C’est qu’il avait presque une jolie voix ! Il avait trouvé un nouvel endroit, un nouveau coin. Sans mouette ! Il allait me ramener le plus beau poisson jamais pêché dans tout le quartier ! Il est jamais revenu, lance-t-elle avec une pointe d’émotion. 

Soudain, la pièce ne paraît plus si sombre à Joao. Les portraits jaunis par le temps ne sont plus un avertissement mais un instant volé à un pêcheur, pour prouver à sa femme que leur bonheur a réellement existé. Il se demande depuis combien de temps elle attend. 

– Cela fait maintenant… Si je compte bien, dit-elle, comme si elle lisait à nouveau dans ses pensées, en détachant ses cheveux rassemblés en un chignon dégrossi… 10 cms pour chaque année… Ça doit bien faire 9 ans ! 

– Comme moi ! Ça alors, il va vous ramener un sacré gros poisson, s’exclame Joao, émerveillé devant la longue chevelure grise.

La vieille dame sourit en montrant à nouveau ses deux dents manquantes, qui ne font plus peur au petit garçon.

– Sans doute, petit. En attendant, je mange le poisson à côté. Il est pas aussi savoureux, mais il me rappelle mon Miguel. Morveux semble l’apprécier aussi.

– Morveux ? s’étonne Joao. 

– Ton Sardinha. Une semaine après le départ de Miguel, il est apparu sur mon perron. J’ai bien cru que le Seigneur me jouait des tours, j’ai toujours eu horreur des animaux. Mais il faut croire qu’il est plus coriace que les mouettes, et que y a que les imbéciles qui changent pas d’avis ! Ça fait trois jours que je le cherche ce chenapan ! Sardinha, ça lui va bien, et ça a pas l’air de le perturber, remarque-t-elle en montrant le chat noir et blanc qui apparaît soudain dans la pièce, se pourléchant les babines, une arête de poisson coincé dans son pelage. 

– Je pourrais venir le voir ? s’enquit Joao, surpris par sa requête et son envie de revoir cette dame aux yeux qui percent les fenêtres. Cette dame aux yeux fatigués qui attendent derrière des rideaux à fleurs un pêcheur qui ne rentrerait plus jamais. Avec une hésitation qui paraît bien longue au jeune garçon, la vieille dame acquiesce.

– Allez, maintenant file avant que les voisins croient que la sorcière n’a fait qu’une bouchée du petit garçon d’à côté.

Lisait-elle vraiment dans les pensées, se demande une énième fois Joao. Il s’apprête à partir lorsqu’il se retourne vers la vieille femme au sourire incomplet. 

– En vrai, je sais que vous n’êtes pas une sorcière même s’il vous manque des dents. C’est à cause des cheveux. Vous avez les plus beaux du monde entier. 

Et la vieille dame se met à rire, elle rit si longtemps qu’elle ne fait pas attention aux multiples mouettes qui tiennent un congrès devant sa porte. Et, lorsqu’elle referme cette dernière, elle rit encore en prenant ses aiguilles et son crochet, les cheveux emmêlés aux fils du napperon qu’elle s’apprête à terminer.

Alors, qu’en as-tu pensé ? Pour ne rien louper de mes futures publications, c’est ici !

13 réflexions sur “La vieille aux mouettes

  1. Bonsoir Sabrina
    Nouvelle adorable bien que les portugais préfèrent la morue (bacalao je crois) à la sardine!
    En tout cas je connais Péniche avec sa vue superbe sur les longues plages depuis le haut du village
    Bonne continuation

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    1. Merci William pour tes mots ! Oui, j’avais plutôt envie de douceur, c’est les vacances pour moi aussi 😉 ! En effet, les Portugais apprécient beaucoup le bacalao mais c’est sardine qui est sorti en premier de ma petite tête parce qu’il y a de quoi aussi 🙂 ! Super pour Péniche, c’est en effet un bel endroit aux nombreuses baies. Belle journée à toi, Sabrina.

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  2. Attendrissant, j’aime les histoires qui mêlent insouciance, naïveté des enfants et turpitudes d’une vie d’adulte. L’alternance dialogue et pensées de Joao est bien vue, d’autant que cela saupoudre un zeste de suspens pour finalement finir en douceur. Merci…et oui les mouettes et goélands peuvent être agaçants!

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    1. Eh eh ! Merki beaucoup pour ta lecture et ton retour, c’était vraiment le casse-tête pour tout retranscrire alors tant mieux si ça amène un peu de douceur 😉 j’avais une fin alternative plus caustique mais j’ai opté pour le miel plutôt que le vinaigre 😉 ! Belle soirée à toi !

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  3. Coucou Sabrina,

    J’espère que tu vas bien ! Encore une jolie histoire de ton cru : attendrissante et délicate. Nous nous prenons facilement d’affection pour ces deux personnages attachants sur fond de ville de pécheurs. Merci pour ce doux moment de lecture !

    Je te souhaite une bonne journée et à bientôt,

    Rodolphe

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    1. Merci Rodolphe, tu es toujours fidèle au poste ! Ça me fait plaisir car ce n’est pas ce que j’appelle une nouvelle très travaillée, et je suis sûre qu’elle comporte des défauts, mais en vacances, je me détends 😉 Au plaisir de te lire, j’ai vu que tu as sorti un nouveau texte ! Belle journée à toi, Sabrina.

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  4. Votre nouvelle est agréable. Deux grandes parties se distinguent : une première avec une succession d’antithèses, anaphores, antanaclase et une seconde plus linéaire où vous semblez avoir perdu l’énergie du départ. La première tient le lecteur en haleine, dans la seconde, il se lasse. Bien cordialement,

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    1. Bonjour et merci de votre lecture et commentaire constructif. En effet, le récit est en deux parts, et je peux comprendre votre ressenti, c’est un texte écrit au fil de la plume, au bord de l’eau, avec toutes les imperfections que cela entraîne car je l’ai retranscrit sur l’application WP, un peu rebutante pour travailler en profondeur 🙂 ! Belle journée à vous, Sabrina.

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  5. J’ignore ce que peut être cette merveille de la technique qui contraint votre liberté d’écriture. Surtout, Madame, ne perdez jamais ce trésor. Ne concédez rien à la technologie ! Laissez votre inspiration produire ses effets ! C’est un handicapé du papier et du crayon qui vous en conjure !
    Continuez d’écrire pour gagner du « souffle » à l’image d’un sportif qui entretient son physique ! Multipliez les occurrences, les thèmes !

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    1. Merci Bernard pour ces mots ! Je préfère écrire sur le papier, j’ai toujours un carnet dans mon sac, mais quand je transpose le texte sur le blog, je préfère l’ordinateur pour sa praticité. Là, c’était sur mon téléphone et bien moins pratique pour le retravailler en profondeur, surtout après avoir essayé la saisie vocale 😉 ! Je continue à écrire, pour affûter la plume, sans relâche, avec passion 😉 belle journée, Sabrina.

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