Calme avant les tempêtes

Une histoire très courte aujourd’hui, pour ma première participation à l’atelier d’écriture Bric à Book, un site très sympathique avec une proposition d’écriture chaque semaine lancée à partir d’une photo. N’hésitez pas à y jeter un oeil, pour découvrir des auteurs, le site, ou pour participer, la communauté est fort agréable ! Je me lance et vous laisse découvrir, ce que la photo m’a inspiré. Belle lecture à vous. Sabrina.

— Et les vaches, comme elles étaient mignonnes ! Hautes comme ça ! Et leurs yeux si doux ! On aurait dit des biches ! Puis, on a bien mangé !

Lui repense à la Jacket Potato, une immense pomme de terre garnie –recouverte !– de fromage fondu, et aux haricots infects de leur English Breakfast. On peut dire que les Britanniques sont doués… pour la cuisine étrangère ! Il ne lui répond pas. Les deux regardent à travers la vitre la terre ferme qui se rapproche.

Il se sent un peu fatigué. Il a même un peu froid, et supporte bien sa veste. Pourtant la climatisation n’a pas l’air enclenchée. Il n’y a pas grand-monde dans le bateau du retour. Ça lui va bien. Il ne supporte plus trop la foule. À l’aller, ils étaient à côté d’un jeune couple et d’un nourrisson un peu braillard. Heureusement, il n’y avait qu’une heure et demie de trajet. Il soupire.


Révolue l’époque où ils voyageaient loin, avec un sac à dos, à dormir sur des matelas durs et pas plus épais qu’un dollar dans des chambres sans fenêtre. Terminés les voyages au long cours en van à se lever quand les rayons du soleil viennent frapper la vitre du fourgon aménagé. Au placard, les grandes aventures, les randonnées à l’aube, les soirées près du feu, la vue des ours sur les bas-côtés, les crises de rire et les moments de panique au beau milieu du Nullarbor*. Ou de Nulle Part. C’était pareil. 

Maintenant, ils ne partent plus sans avoir vérifié avant sur Trip Advisor le confort et la taille de la matelasserie. C’est fou ce qu’on peut faire avec internet. Ils prennent le bus, et plus bien loin. De toute façon, il peut plus conduire, et elle, elle a jamais su. Enfin, ça c’est ce qu’il prétendait. Aujourd’hui, même un court week-end à Jersey se transforme en véritable épopée. Est-ce donc ça la vieillesse ? Un sac-banane à la taille et l’impression de grimper l’Everest quand on monte dans un ferry ? Y songe-t-elle aussi, en face de lui ? À tout ce qui est déjà fini ? À ce tout indéfini ?

Elle lui sourit. Elle a toujours été du genre enthousiaste. Il la regarde dans sa veste jaune et avec ses grosses boucles d’oreille en toc.

Tant d’années de compagnonnage – il avait tenu à ne jamais l’épouser, une fierté à la Brassens ! – qu’il avait cessé de compter. Oh, ça n’avait pas été un long fleuve tranquille, ils avaient parfois nagé en eaux troubles. C’est qu’il fallait la suivre, cette matelote !

— Et les vaches, tu as vu comme elles étaient belles ? On dirait des biches, non ? Qu’est-ce qu’on a bien mangé surtout !

Il frémit.

Il pose sa main sur la sienne en guise de réponse.

Il ferme les yeux. Il se met à regretter leurs disputes dans la voiture. La mer est d’un calme. Rejeter ces idées. Juste se laisser aller et bercer par le ballotement des flots.

Apprécier cette sérénité. Au fond, il sait comme il redoute, que c’est le calme avant les tempêtes.

C’est la troisième fois qu’elle lui a posé la question, et elle attend la réponse comme si elle ne l’avait pas entendue auparavant.

*Nullarbor = région d’Australie gigantesque qui s’étend sur des kilomètres, où ne croise pas un seul arbre ! (d’où la formation du nom, d’origine latine (nullus et arbor). Pour l’avoir traversée en van… c’est long !

Crédit Photo : @Sean Thoman

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12 réflexions sur “Calme avant les tempêtes

  1. Merci pour ce moment de lecture délicat comme à souhait. J’irai jeter un œil sur cet atelier « bric à book », cela semble amusant d’écrire à partir d’une photo !

    Belle journée à toi !

    Rodolphe

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    1. Merci Rodolphe pour ton passage ! Oui, essaye-toi à cet atelier, c’est une autre manière de puiser l’inspiration, et de rencontrer d’autres plumes ! J’espère t’y lire ! Belle journée à toi ! Sabrina

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  2. Bonjour Sabrina,
    joli texte mélancolique et tendre que j’ai beaucoup aimé. J’ai souri aussi aux voyages à la dure qui ce sont transformés en voyages où même l’épaisseur des matelas est prévue! Et je crains malheureusement qu’on n’attende pas forcément le grand âge pour ça (bon je n’en suis quand même pas à regarder l’épaisseur des matelas!!!).
    Et puis si en plus tu évoques l’Australie, je ne peux que craquer :)!
    Sandrine

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Sandrine, merci de ton commentaire et de ton retour sur ce texte plutôt court, que j’ai écrit assez vite, au bord d’une… rivière ! Eheh, c’est clair que les voyages évoluent déjà pour nous aussi, où parfois, l’idée de déballer jour après jour son backpack nous fatigue d’avance 🙂 et qu’on apprécie de pouvoir poser un T-shirt sur la même chaise pendant… 3 jours 🙂 ! Ravie que cela t’ait plu, à très vite sur tes flots !
      SAbrina

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  3. En quelques lignes tu parviens à saisir ce moment cruel lorsqu’ on prend conscience de la fin d un pan de vie et d un retour impossible. La fin d une jeunesse et le début de la déchéance physique…Un texte touchant . Une belle journée à toi!

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    1. Merci Ève pour ton retour, et pour tes lectures assidues ! C’est toujours un plaisir de lire tes retours, et de voir si mon texte parvient à toucher, sous des formes différentes ! Belle journée à toi, Sabrina.

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