La forêt, immense, dense, perfide, se dressait devant lui.
Des jours entiers, il avait marché, seul, sous le soleil bouillant et torride, près de points d’eau arides. Il n’avait reculé, ni devant les hordes de hyènes qui l’avaient pourchassé, ni devant les doutes qui l’assaillaient. Il avait tant essuyé de moqueries, tant souffert de tyrannie. Il touchait enfin cet instant salvateur, où il serait doté de rayures, comme les autres.
Ce doux mirage miroitait devant ses yeux épuisés. Celui qui le poussait à poursuivre, malgré les douleurs lancinantes qui lui courbaient les pattes.
Néro, ce zèbre tacheté comme un guépard voyait enfin surgir, dans les branches qui s’enchevêtraient, l’espoir de contrer le mauvais sort et son pelage d’infortune.
C’est sur l’ordre de Kouka, le singe du village, qu’il s’était mis en route pour la lointainte forêt de Déliance. Armé de patience et d’une amulette, il devait récolter l’Espera, une fleur aux reflets bleutés qu’on ne cueillait que dans cette partie éculée de la contrée de l’Omnia. Ajoutée à d’autres ingrédients dont Kouka seul avait le secret, elle permettrait de créer une potion qui lui rendrait ses rayures.
Le zèbre frissonna. La forêt, hostile, impénétrable, ne semblait guère vouloir lui tendre ses branches. Néro se rappela son village : les quolibets des dominants, les menaces des importants, les coups d’un rayé triomphant.
Il s’engagea.
Autour de lui, sombres et imposantes, les cimes formaient des barrières au soleil et aux curieux. Des craquements et des bruissements l’enveloppaient, la vie s’agitait tout autour, mais il ne distinguait rien dans cette nature à l’aura menaçante.
Noueux, curieux, les troncs semblaient se resserrer à mesure qu’il s’enfonçait.
Brusquement, une branche se détacha, et manqua s’écraser sur la tête de Néro. Paniqué, il détala, se prenant les pattes sur une butte. Il s’affala de tout son long, écrasé par la fatigue accumulée durant sa quête.
Haletant, à bout de force, il se souvint de l’amulette donnée par le sage. Il se mit à la frotter, avec une intensité mêlée d’espoir. Le silence, comme l’obscurité, s’obstinaient. Seul dans cette pénombre végétale aux fantômes sans âme, il commençait à regretter cette stupide quête et cette fleur ridicule. C’était la première fois qu’il quittait sa tribu, et personne au village ne s’attendait à ce que lui, le zèbre émissaire de la bande, ose pareil danger.
Il perçut un murmure et stoppa net ses pensées. Terrorisé, il allait s’en référer à son amulette lorsqu’il la vit. La bûche.
Biscornue, sertie de mousse, à la verticale, elle l’observait… et lui parlait.
— Ce que tu cherches n’est pas ici.
— Qui êtes-vous ? Et que me voulez-vous ?
— Ce que je suis n’importe guère, je suis une bûche mais je pourrais tout aussi bien être un champignon.
— Pourquoi parlez-vous ?
— Ta question n’a aucun intérêt, toi aussi Néro, tu parles, et ça ne t’interpelle pas.
— Comment savez-vous mon nom ?
— Sais-tu seulement ce que tu fais là ?
— Je cherche cette fleur miraculeuse.
— Non, tu te trompes lourdement.
— Après tout ce que j’ai traversé ! Je suis blessé, harassé ! Je parle maintenant à une bûche et…
— Ecoute ce que je dis, pas ce que tu entends. Quand tu seras prêt, tu le comprendras. Maintenant, la fleur, je te l’offre. Est-ce vraiment ce que tu veux ? Réfléchis.
Le zèbre hésita. Il pensa à sa nouvelle vie rayée, et à la joie qu’elle lui procurerait. La bûche était-elle sincère ? Quel âne ! Est-ce qu’il s’entendait parler ? Les autres avaient raison. C’était un drôle de zèbre. D’un geste de défi, guidé par la rage et l’épuisement, il lâcha un retentissant « non » qui résonna jusqu’aux sommets des arbres. Une lumière fluorescente les enveloppa aussitôt, et il se retrouva, perplexe, devant Kouka qui le fixait, les oreilles remplies de mousse.
— Que faites-vous là grand singe ? Où est ma bûche ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Néro, ne cherche pas toujours à donner un sens aux événements. Ce n’est pas comprendre qui fait le sage, mais accepter la part de mystère qui nous entoure.
— Mais, et l’Espera, je suis venu jusqu’ici pour la trouver !
— Et tu l’as refusée.
— Mais je la veux toujours ! Je veux des rayures ! Il la faut pour la potion magique !
— Ta décision a été prise, Néro. On ne peut revenir dessus.
— Mais vous savez qu’elle est importante pour moi !
Inspirant profondément, le sage martela :
— L’Espera n’existe pas Néro.
— Quoi ? Vous fabulez !
— Elle n’a jamais existé, tu es au coeur de Déliance, les fleurs ne peuvent vivre parmi ces arbres. Ceux-ci veillent à la régénérescence de leur propre espèce pour permettre aux territoires de l‘Omnia de résister face aux activités nuisibles de l’Homo Plasticus. Comment est-elle pour toi cette forêt ?
— Effroyable !
— Moi, je la trouve d’une grande beauté. Vois-tu, elle t’aide à respirer. Tout n’est qu’une question de perception.
— Vous m’avez fait tourner en bourrique ! Je ne serai jamais rayé !
— Je ne t’ai pas… manipulé Néro, je t’ai aidé. Pour trouver la solution, encore faut-il poser la bonne question. Je te laisse maintenant, quand tu veux rentrer, frotte simplement l’amulette trois fois.
Avant qu’il ait pu le retenir, Kouka avait déjà disparu, laissant un Néro confus et hagard. Le bois s’était éclairci. Les arbres, paisibles à présent, semblaient le bercer. Il repensa à tout ce qu’il avait accompli, à cette fleur qu’il convoitait tant, et les espoirs qu’il portait en elle. A ces peurs qu’il avait affrontées. A cette bravoure qu’il avait démontrée. Il se sentait envahi d’une puissance nouvelle, comme s’il saisissait à travers ses propres muscles la force tranquille des troncs qui l’entouraient. Il comprit soudain.
Kouka avait raison.
Ce n’était pas l’Espera qu’il recherchait, c’était le courage.
Le courage d’être lui, Néro, un zèbre tacheté, parmi les rayés.
Libéré, transcendé, il frotta son amulette, une, deux, trois fois, les taches sur son dos flamboyant d’un nouvel éclat fluorescent.
Consigne 12 : Nouvelle Fantasy. Trouver un héros, une quête, des obstacles, et un élément magique. Remuer le tout, et plonger dans l’univers. |
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Crédits : Photo by Johannes Plenio on Unsplash
Toujours autant de plaisir à te lire, j’aime beaucoup cette nouvelle.
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Merci beaucoup ! Ca n’était pas évident, mais ça me donne des pistes à explorer, du côté de la littérature jeunesse, qui sait ? Belle journée, bisous !
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Tellement vrai ! Savoir être soi ( et non pas comme tout le monde ) est une vraie source de bonheur !
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Merci beaucoup Pascale pour ton commentaire ! Ca n’est pas toujours aisé, mais ça vaut la peine 🙂
!
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