-Mes chéris, allez jouer dehors ! Il fait un temps radieux ! Il faut en profiter pour se dégourdir les pattes !
Spike se levait déjà, surexcité à l’idée d’une longue promenade, regardant vers le porte-manteau où pendait habituellement sa laisse.
⎽ Il fait très froid aujourd’hui, maman doit rester au chaud, je vais d’abord mettre une petite veste à notre pauvre petit Lucky. Je veux pas qu’il grelotte, on est quand même en novembre… Et son petit corps, il supporte pas trop, hein qu’il supporte pas trop les grelots le petit bichon à sa maman ? Elle s’était penchée sur une forme qu’il ne reconnaissait que trop.
Sous les yeux horrifiés du vieux Malinois, elle emmaillotait à présent le Yorkshire d’une étoffe bleu turquoise, sertie de fausses pierres clinquantes. Sa joie retomba net. Il allait encore se le trimballer à travers le jardin, lui et ses paillettes.
⎽ Et pas de bêtises dans le potager, laissez les courges tranquilles ! Spike, c’est toi le chef, tu surveilles bien notre petit protégé ! Pas comme la dernière fois, il avait les pa-pattes toutes sa-sales après votre balade ! Et qui c’est qui a fini dans le bain, c’est mon petit chouchou d’amour !
Spike s’impatientait. Il n’avait plus vraiment envie de sortir, mais il ne ne supportait plus la guimauve dans la voix de sa maîtresse. Avec un grognement, il passa devant la porte-fenêtre qui donnait sur l’arrière-cours, suivi du microscopique animal qui sautillait et frétillait comme s’il n’avait jamais vu le soleil. Il batifolait à ses côtés, lui tapant dans les pattes, et sur le système. Le vieux molosse se retourna, cherchant des yeux sa maîtresse qu’il savait derrière la baie vitrée, le sourire aux lèvres, émue aux larmes de voir les deux amours de sa vie s’entendre si bien. Pour parfaire le tableau, il lécha brusquement le museau du surexcité, et vit enfin sa maîtresse s’éloigner.
Comme il le détestait ! Depuis le premier jour, on n’en avait plus que pour lui, ce misérable souillon, cette boîte à tiques, ce clochard de clébard ! Une demi-portion trouvée derrière la benne à cartons… d’une déchetterie ! Un endroit pour se débarrasser des objets normalement, pas pour s’en embarrasser de nouveaux ! Tout tournait toujours autour du toutou ! Fallait le bercer, le remplumer, le câliner, ne pas le brusquer… Môssieur avait même droit à de nouvelles boulettes, un panier garni d’une jolie couette. Et lui, Spike, avec ses vieux muscles et ses mâchoires fatiguées, il devait se farcir des croquettes dures comme du gravier, et s’entortiller dans ce qui avait été jadis, un royal coussin !
“Regardez comme il est mignon avec ces petits noeuds que je lui ai faits ce matin” Et elle l’exposait comme dans une foire devant ses amies décrépites. Elles gloussaient et glougloutaient devant le petit être qui, aux yeux avisés de Spike, atteignait le summum du vulgaire avec ses rubans dans les poils. Ce n’était pas de la jalousie, ses poils à lui étaient trop courts. Mais enfin, il méritait lui aussi, un peu de considération, non ?
Spike avait perdu le gringalet de vue. On s’approchait du fond du jardin, où la barrière croisait la forêt. Peut-être avait-il trouvé un moyen pour passer en-dessous et s’enfuir ? Rejoindre sa bande des Chiens Chétifs ? Après tout, il n’y pouvait rien, si Lucky était si minuscule qu’il pouvait glisser sous la palissade ? S’il s’affranchissait de cette petite boule sans graisse, il retrouverait enfin l’attention de sa maîtresse ! Non, ce n’était pas une bonne idée. A coup sûr, ça lui retomberait dessus, il serait méprisé, rejeté, chassé ! C’est lui qu’on ramènerait à la déchetterie, là où l’enfer avait commencé ! Un bruit le ramena à la réalité, les diamants scintillaient près d’un buisson. Lucky avait trouvé l’ancien puits de la famille, un vieux trou recouvert par des planches de bois vermoulues.
La curiosité était un vilain défaut. Ce recoin-là leur était interdit. Un accident pouvait si vite arriver. L’écart entre les planches permettait tout juste de laisser passer le corps gracile d’un visiteur imprudent. Lucky, totalement concentré sur sa tâche, reniflant l’odeur putride qui émanait des tréfonds s’approchait maintenant bien près du puits défendu. Il était à présent sur le rebord. Il suffirait simplement de le pousser un peu, d’un coup sec et rapide pour que la misérable bébête s’enfonce dans le gouffre. Il n’y aurait pas de témoins, les arbres seuls, garderaient son secret au coeur de leurs racines, tandis qu’il aboierait comme un dingo, alertant la maisonnée de la tragédie terrible.
Lucky se tient maintenant sur l’une des planches, la truffe attirée par ce remugle d’eau croupie, il n’entend rien, et tout se précipite.
Un grand fracas, du bois qui vole en éclats. Le vieux Spike mouline, il veut s’agripper, cherche de l’aspérité mais ripe sur les parois humides. La pestilence l’enveloppe déjà, il plonge dans les profondeurs. Le Malinois entrevoit pour la dernière fois, la petite tête du chanceux Yorkshire, étincelant de mille éclats, sagement assis sur l’unique planche qui n’a pas cédé, sous les rayons d’un soleil qui ne le chaufferaient jamais plus.
La chance ne sourit pas toujours aux plus audacieux. C’était pourtant une belle journée, a very lucky day.
*en anglais, Lucky : chanceux et Spike : pic/pointe
a very lucky day = un grand jour de chance
Consigne 7 : écrire à partir du texte de Boileau-Narcejac. Respecter la trame, la structure, pour réinventer une histoire, avec de nouveaux personnages et décors. Recréer, serait-ce aussi créer ? |
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Now I am going away to do my breakfast, afterward having my breakfast coming again to read more
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